Dans le contexte d’urgence de la transition écologique, les techniques et les approches constructives sont en pleine mutation. Si le langage commun s’est aujourd’hui approprié la sémantique « éco-construction » et « éco-rénovation », il importe que le concept soit toutefois techniquement maîtrisé pour ne pas céder à la superficialité de l’effet de mode qui porte à penser que tout ce qui est issu de la nature est favorable à l’environnement et la santé. De cette expertise, on peut alors identifier et exploiter un confort d’usage et de santé innovants et repenser la qualité architecturale au prisme de la contemporanéité renouvelée de ces enjeux pourtant anciens.
Construction biosourcée versus rénovation
Il serait inexact de considérer d’un côté le patrimoine existant comme suranné, et d’un autre les constructions neuves biosourcées comme innovantes.
Il faut en effet bousculer les a priori entre neuf et rénovation : le biosourcé issu de bois et de fibres végétales s’est toujours fait, par nécessité. L’innovation a d’abord consisté à le concurrencer avec des matériaux et des pratiques importées sur son territoire puis à définir juridiquement la composition des constructions biosourcées, par l’arrêté du 19 décembre 20121
.
Il faut aujourd’hui dépoussiérer les approches : les mises en œuvres innovantes dans le domaine de la construction issue de la biomasse conduisent aux ATEX et à la médiatisation de ces nouvelles pratiques réputées écologiques.
Toutefois, les interventions patrimoniales, dont les matériaux sont issus du territoire même, sont aussi innovantes voire plus écologiques que la construction neuve biosourcée, compte tenu du recours au circuit court.
La qualité architecturale passe par ce retour aux sources et par une réappropriation contemporaine des fondamentaux, en harmonie avec les paysages, les pratiques et l’art de vivre qui font l’identité de nos territoires.
Comment mettre en œuvre une éco-construction ou une éco-rénovation : de l’importance des modes constructifs, de la santé et des filières locales
En termes de changements de pratiques au profit des filières locales et de la construction biosourcée, il nous faut cesser le discours intellectualisant des taux de biomasse et styles d’architecture pour renouer avec la dimension fondamentalement constructive de l’architecte maître d’oeuvre. La conception doit donc être pensée, depuis le sol sur lequel s’implante le bâti, jusqu’à la maintenance qui fera appel à des ressources locales, tout en allant au-delà des usages en envisageant des conceptions interdisciplinaires et inclusives.
Un édifice s’apprécie dans la pertinence et l’innovation de son parti architectural et constructif, ainsi que dans son aptitude à s’inscrire dans le temps en respectant l’environnement et la santé des usagers.
Ainsi, au-delà du label biosourcé, il convient de quantifier la capacité des matériaux locaux, naturels ou issus du réemploi, à s’altérer et dégager des COV2
ainsi que la radioactivité, en particulier des pierres granitiques, car ces évolutions naturelles sont de nature à remettre en question certaines mises en œuvre réputées écologiques et pourtant dangereuses.
Les recherches et les investissements doivent profiter équitablement au secteur neuf et à la réhabilitation, d’autant plus que neuf et réhabilitation sont souvent liés, prenant pour exemple la question du réemploi dont il faut lever les freins réglementaires et sanitaires, grâce à la requalification du statut des déchets3
, d’une part, et aux recherches, d’autre part.
L’éco-conception doit donc être repensée par l’entrée « filières locales », c’est-à-dire, non pas pensée comme un objet inspiré de la biomasse uniquement, mais envisagée comme un soutien aux professions et au (re-)développement endogène.
Les praticiens de terrain, tels les compagnons, détiennent le patrimoine culturel immatériel des pratiques et une créativité à aiguiser avec les nouveaux enjeux de transition écologique.
Comment déclencher un éco-projet ? Les facteurs de prise de décision par les élus ou les maîtres d’ouvrages
La conviction des maîtres d’ouvrages passe par la confiance dans les matériaux et les filières locales.
La conviction passe également par l’image qu’ils souhaitent donner à voir de leurs territoires : s’agit-il de valoriser un lieu à vivre, potentiellement territoire d’audace, de développement endogène, ou bien s’agit-il de répondre aux critères d’un développement touristique stéréotypé ?
Par ailleurs, une part d’audace, voire d’impertinence, d’une équipe de maîtrise d’œuvre et de financeurs permet d’impliquer le maître d’ouvrage dans la démarche afin qu’il s’approprie la conscience collective de la transition écologique, du bilan carbone et de la responsabilité en terme de santé publique.
La diffusion des pratiques, par une démarche d’appropriation, favorise la médiation et la réplicabilité des éco-réalisations, permettant un effet levier sur les pratiques locales et leur partage au niveau national.
Le rôle de l’État en faveur des éco-réalisations
Si l’investissement des réseaux locaux est variable d’une région à une autre en fonction des enjeux climatiques sur les territoires et de la mobilisation des porteurs de projets, des élus régionaux et des réseaux mobilisables tels que CAUE4
, PNR5
, VPAH6
, ADEME7
, filières biosourcées, le rôle de l’État reste fondamental et structurant.
Il consiste en effet à accompagner la prise de conscience et la motivation pour réussir la transition écologique et solidaire.
La prochaine étape de l’éco-construction ou l’éco-réhabilitation sera la recherche d’un équilibre dans l’emploi du biosourcé, prenant en compte le potentiel des filières locales et les risques sanitaires potentiels liés à l’emploi de matériaux biosourcés, géosourcés ou de réemploi.
Enfin, par la valorisation et l’évaluation des politiques publiques, l’État permet le recours à des solutions innovantes8
, la capitalisation des expériences et la pérennité des innovations constructives en faveur de la transition écologique.
Ce soutien devrait permettre, à terme, de consolider la valeur économique apportée par les éco-concepteurs dans la filière construction et donc la pérennité de ces nouvelles pratiques.
- Arrêté du 19 décembre 2012 relatif au contenu et aux conditions d’attribution du label « bâtiment biosourcé » ↩
- Composés organiques volatiles ↩
- Code de l’Environnement, article L541-1-1 ↩
- CAUE : conseil en architecture, urbanisme et environnement ↩
- Parc naturel régional ↩
- Ville ou pays d’art et d’histoire ↩
- Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie ↩
- Décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018 portant diverses mesures relatives aux contrats de la commande publique ↩